L’homme et son époque

I– Son enseignement

El Hadj Madior Goumbo CISSE a installé une école à Saint-Louis ouverte pendant la saison sêche de décembre à mai en alternance avec son école de Maraille ouverte pendant l’hivernage. (Maraille est aujourd’hui situé à quelque kilomètres de saint-Louis en territoire mauritanien)

Comme les maîtres de l’époque, El Hadj Madior Goumbo CISSE a enseigné plusieurs disciplines littéraires et artistiques : grammaire, rhétorique, droit musulman.
Madior Goumbo CISSE fut poète et juriste. Il est l’auteur de deux longs poèmes où ils chantent les louanges du Prophète Mouhamed (PSL) : la badiyou et la ba i ya. Il a également écrit un ouvrage de fiqh malékite sur la pureté légale et la prière.

Madior Goumbo CISSE eut de nombreux disciples . Parmis les plus connus on peut citer : Cheikh Ahmadou Dieng, Serigne Khassimou SARR, Samba Coulbar, Aline Tine, El Hadj Malick Sarr Seck, Boli Dior Mbaye, Gorgui Abdou Dia, tous demeurant à Saint-Louis et Mbaye Loukha de Pout.

II – Sa vie quotidienne

La vie quotidienne de Madior Goumbo CISSE était partagée entre l’enseignement religieux qu’il dispensait et son métier de commerçant et cultivateur avec lequel il assurait l’entretien de sa famille.
Sa vie était rythmée par son enseignement, les activités champêtres et la commercialisation des récoltes. Ainsi, pendant la bonne saison (« Noor »), le marabout s’adonnait entièrement à ses activités de professeur, les réserves vivrières étant suffisament assurées. Pendant l’hivernage, il se retire à Maraille où il avait ses champs. Il y travaille la terre avec une bonne partie des étudiants, alors que d’autres restent à Saint-Louis pour assurer la permanence. Après la récolte, les étudiants rentrent à Saint-Louis et le marabout en compagnie de quelques collaborateurs se rend en pirogue à Médina Khasso ou Mame Madior Goumbo CISSE assisté de ses adjoints dispense de nouveau son enseignement aux étudiants de cette contrée.

III – Ses rapports avec les saint-louisiens

Intellectuel de haut niveau, honnête et pieux, Mame Madior Goumbo CISSE avait gagné l’estime général de ses coreligionnaires de Saint-Louis. Au « panthéon » de Saint-Louis, il a rang de Saint et de grand érudit. Ses relations avec les saint-louisiens sont illustrés de manière toute particulière par l’histoire du gamou que, le premier, il institua dans la ville. Ce fut d’abord une veillée de chants religieux à l’occasion du Maouloud, organisé dans sa maison au quartier Nord. Ce fut un grand succès et la maison fut trop petite pour contenir les saint-louisiens venus en masse y assister. Les années suivantes les pêcheurs de Guet Ndar amenèrent les voiles de leurs pirogues pour dresser dans la cour de la maison une tente qui pourrait contenir tous les spectateurs. Ce serait là l’origine des tentes que l’on voit un peu partout dans le pays à l’occasion des gamous. D’ailleurs, le gamou de Mame Madior Goumbo CISSE serait le premier a avoir été organisé dans le pays.

A la mort de Mame Madior Goumbo CISSE, la ville de Saint-Louis par la voie de dignitaires de la grande mosquée, décida d’adopter le gamou de Mame Madior Goumbo CISSE au nom de Saint-Louis et en fit le gamou de la cité. Il fut demander à la famille du célèbre disparu de bien vouloir choisir un autre jour pour perpétuer la tradition. C’est ainsi que ce gamou centenaire continue encore de nos jours à se tenir en face de la maison de la famille au quartier Nord à Saint-Louis. Quant au gamou qui avait été adopté par la ville, il fut par la suite transferer dans l’enceinte de la Grande Mosquée du Nord.

IV – Son attitude vis-à-vis du pouvoir colonial

Son attitude semble avoir été distante. On raconte seulement la rencontre de Mame Madior Goumbo CISSE avec le gouverneur de l’époque au moment des préparatifs de son pélerinage à la Mecque. Celui-ci se serait extasié sur la beauté et la prestance du personnage. Mame Madior était un homme de grande taille, de teint clair, portant des favoris.

V– Ses rapports avec le monde musulman hors du Sénégal

1- Pélerinage à la Mecque

Mame Madior Goumbo CISSE a effectué un pelerinage à la Mecque. Le voyage qui dura six mois, fut effectué à dos d’animal à partir de la Mauritanie. Cela lui permit de traverser nombre de pays d’arabes. Le voyage a dû avoir lieu en 1889. Cette datation est fournie par l’histoire du poème de la badiya. La tradition rapporte que Mame Madior Goumbo CISSE aurait emporté avec lui son poème à la Mecque afin d’avoir l’assentiment du Prophète (PSL) avant de le lire en public. C’est dans la ville sainte qu’après avoir lu son poème qu’il vit en rêve le Prophète (PSL) lire en souriant cette ode qui lui était dédiée.

Le vers qui clôt la Badi’yya -avant les prières d’usage– utilise un procédé classique de datation. Ce procédé qui consiste à inclure la date dans le vers, se base sur la valeur numérique des lettres de l’alphabet. Le vers en question
se traduit approximativement comme : « Quand tu respires, du Jardin de Baldic, l’odeur de la fin. Alors, tu peux dater leur bonne odeur (…) ».

En arabe, c’est ce dernier groupe de mots qui fournit la date. Toutefois, n’ont ici une valeur numérique que les lettres vocalisées. Le … n’étant pas vocalisé, il ne lui est pas attribué de valeur numérique dans le calcul de la date. L’addition des valeurs numériques donne l’année hégirienne 1306 qui correspond à l’an 1889 dans le calendrier grégorien.

On raconte qu’à l’occasion de son pélerinage Mame Madior Goumba aurait offert un exemplaire de la Badi’yya au Roi d’Arabie, qu’il aurait été classé 7ème à un concours de poésie arabe et que son poème aurait été enseigné dans les écoles en pays arabe. En témoigne l’histoire de ce libano-syrien, émigré au Sénégal qui pouvait, au grand étonnement de Abdourahmane DIAGNE -petit fils de Mame Madior Goumba – réciter des vers de la Badi’yya, qu’il aurait appris à l’école, dans son pays.

De retour de la Mecque, Mame Madior Goumbo CISSE a introduit dans le pays certaines variétés agricoles : céréales (blé, orge), melon (c’est pourquoi on dit « khalou Macca »… Il a rapporté ces variétés pour les présenter à ses étudiants, qui rencontraient ces noms dans leurs cours de droit commercial musulman, sans savoir exactement de quoi il s’agissait.

2- Rayonnement hors du Sénégal

El Hadj Mame Madior Goumbo eut un rayonnement intellectuel et spirituel hors du Sénégal, précisément au Mali, en Guinée et en Mauritanie. Sa renommée dans ces pays s’explique, entre autres, par son affiliation à la Qadriya et ses origines ethniques (on retrouve des CISSE au Mali et en Guinée).

Sa réputation en Mauritanie est attestée par l’oraison funébre sous forme de poème qu’a rédigé en son souvenir un érudit mauritanien parmi ses amis, Mouhamed Ben Ahmed Yoro, qui n’hésite pas à comparer le savoir de Mame Madior Goumba CISSE à celui des Imams Malick et Châfi.