Par :  Sérigne El-hadji Madior CISSE

11, rue Neuville

SAINT-LOUIS

*******

Dans le « SOLEIL » du 08 décembre 1970, MM Mamadou Moustapha KANE et El hadji Korkhari SECK, se sont fait l’écho de l’amertume répandue parmi les Musulmans sénégalais qui n’ont pu, une fois de plus, cette année, célébrer, dans les formes qui conviennent, la fin du Ramadan.

C’est que la fête de la Korité qui marque, tous les ans, la fin de la période du jeûne, trouve sa consécration dans la prière du « ith » où tous les musulmans communient ensemble dans la ferveur et dans l’allégresse.

Et l’usage veut qu’à cette occasion tous, hommes, femmes, enfants soient parés de leurs effets les plus beaux.

C’est donc une fête dont il faut éviter de frustrer ceux qui ont respecté les obligations islamiques prescrites durant le mois du Ramadan.

Le Prophète n’a-t-il pas dit : « Celui qui jeûne a en perspective deux joies :

  • « (la joie) du jour de la rupture (du jeûne) ;
  • « et (la joie) du jour (où) il rencontrera le seigneur. »

On comprend, dès lors, le sentiment de déception générale que peuvent ressentir des musulmans en apprenant, dans l’après-midi d’une journée de jeûne, comme ce fût le cas le 30 novembre 1970, que la lune était apparue la veille, que le jeûne devait, certes, être rompu ; mais que la prière solennelle ne saurait avoir lieu.

L’homme de la rue se demande, tout naturellement, sur quoi donc s’appuie-t-on ?

Quels textes coraniques, quelles recommandations du Prophète permettent de décider que la prière ne peut, en pareille circonstance, être accomplie ?

Il y aurait, tout au plus, une certaine interprétation de l’opinion malékite selon laquelle « on rompt aussitôt le jeûne, chaque fois que l’on apprend, en cours de journée, que la lune est apparue la veille ; la prière de la Korité peut alors être accomplie, tant que le soleil n’est pas parvenu au zénith. Elle cesse, cette prière, d’être une obligation, dès que le soleil commence à décliner. »

Mais il faut se hâter de préciser que cette opinion s’est trouvée déjà infirmée du vivant du Prophète (que la paix et la grâce de Dieu soient sur lui).

Abi Oumeiri Ben Anès raconte, en effet, le tenant lui-même d’un de ses oncles paternels appartenant aux Lansar, « que vers la fin d’une journée de Ramadan, un groupe de voyageurs attestèrent devant le Prophète qu’ils avaient aperçu la veille, le croissant de la lune. »

L’envoyé de Dieu ordonna alors aux Musulmans de rompre aussitôt le jeûne, et de se rassembler le lendemain, pour accomplir, en commun, la prière de la fête que nous appelons la Korité au Sénégal.

Dans son commentaire des propos tenus par le Prophète intitulé « Naylou Laytâr, l’imam Chavkâni rapporte ce hadith authentique (conf. Vol III p.381).

À cet égard, on lira avec intérêt, l’ouvrage que Chavkâni a consacré au recueil des paroles du Prophète, le Mountakha Lakhbâr publié par l’imam Ibn Teymiya.

Chavkâni souligne, en particulier, que ce hadith est rapporté par tous les 5 recueils de sounna, à l’exception du recueil de Tirmisiyi.

Ibn Houbbane le confirme de son côté ; et de grands docteurs de l’Islam en attestent l’authenticité ; ce sont, notamment Ibn Mounzir, Ibn Sakan, Ibn Hazm, El Khitabiyi, Ibn Hajar, dans son Bouloughoul Maraâm et enfin Chafiiyi.

Chavkâni conclut, en affirmant, avec El Khitâbi, que le hadith rapporté par Abou Oumeiri est authentique et qu’il convient de se soumettre à la tradition instaurée par le Prophète.

Partant de ce hadith, tous les juristes sont unanimes à considérer que la prière solennelle (de la Korité) peut être reportée au lendemain, chaque fois que l’on apprend, en cours de journée, que la lune est apparue la veille ; et que l’annonce en est faite (en fin de matinée) à un moment de la journée, où il n’est plus indiqué d’accomplir la prière dite « douha » ou (yôr yôr) c’est dire du lever du soleil jusqu’au milieu de la journée.

Tel est le point de vue d’éminentes autorités comme Lavza-Iyi, Thavriyi, Ahmedou, Ishakh, Abou Hanifata, Abou Youssouf, Mouhammed, tous fondateurs d’écoles.

À leurs yeux, il ressort même de ce hadith que la prière accomplie le lendemain (de l’apparition de la lune), et pour les raisons précitées doit être considérée comme une prière réalisée en son temps ; et non point comme un acte destiné à réparer ou à compenser (une obligation révolue).

En fait, l’école Malékite dont se réclament les oulémas sénégalais admet, elle-même, l’authenticité de ce hadith ainsi que l’atteste un des disciples de Malick, l’Imam Mawakh dans son commentaire de Khalil (Conf. Vol II page 190).

Mawakh précise, en outre, que l’Imam Lakhmiyi se conformait lui-même à ce hadith en dépit de l’opinion attribuée à l’Imam Malick.

S’agissant de la rupture du jeûne, et de la prière de la Korité dans les conditions que voilà, la conclusion à dégager est, la vérité, simple et claire.

En premier lieu, il n’existe aucun texte qui interdit le report au lendemain de la prière de la (Korité).

Bien mieux, le Prophète, de son vivant, a ordonné aux Musulmans de rompre aussitôt le jeûne et de reporter la prière au lendemain, lorsqu’ils apprennent, en cours d’après-midi, que la lune est apparue la veille.

Il nous suffit d’avoir ce hadith présent à l’esprit, pour nous épargner à l’avenir, les dissensions nées d’interprétations contradictoires que les Musulmans sénégalais connaissent, depuis 1968, en cette matière.

Il s’agit, en définitive, d’être, non pas attentif à la lettre, mais fidèle à l’esprit de l’école Malékite.

Malick soucieux de l’unité de la collectivité musulmane n’a-t-il pas désapprouvé la pluralité, dans une même ville, des grandes mosquées pour la prière du vendredi ?

Ses disciples ont été pourtant amenés à admettre, par la suite, que l’on pouvait exceptionnellement tolérer la coexistence, dans une même ville, de deux grandes mosquées (Dioumas).

Et l’on sait aujourd’hui les dérogations auxquelles nos réalités nous ont conduits.

Nous resterons fidèles à l’École Malékite, en nous souvenant que l’Imam Malick, aussi bien que l’Imam Chafiiyi, et tous les fondateurs d’Écoles recommandent, à leurs disciples, d’observer la parole du Prophète partout où elle se révèle en contradiction avec leurs points de vue personnels.

Ibn Hazm rapporte à ce propos un témoignage édifiant par lequel nous terminerons : « Je préférerais – déclare l’Imam Malick sur son lit de mort – subir tous les tourments ici-bas, plutôt que de m’entendre reprocher, en comparaissant devant le Prophète, que j’ai pu, en quoi que ce soit, modifier ou ajouter, altérer ou retrancher à sa Loi, la Charia ».